Le berceau rejeté (3)

Elle se souvient.

Elle avait 34 ans. Elle et son père marchaient dans la rue, après avoir repeint son ancien appartement; sur le chemin, une banale querelle à propos de la qualité de la peinture va prendre un drôle de tournant.

Son père lui dit calmement, sans sourciller et sans violence pour une fois : « J’ai toujours voulu que tu meurs ». Une phrase glaçante, plombante, inattendue et inappropriée. Elle a bien entendu la phrase, la vilaine phrase. Elle ne fit aucune réflexion, elle continua sa route, elle fit mine de rien mais l’impact était grand. Une balle en plein cœur à bout portant sorti d’un silencieux. Voilà c’était clairement dit : « J’ai toujours voulu que tu meurs ». Après des années de non-dit, le silence était rompu et le pire dit.

Depuis son enfance, elle avait entendu son père lui dire : « Nous t’avons trouvé sur le parvis d’une église », une phrase pleine de sous-entendu. La mère était déchirée à chaque fois qu’elle entendait cela et ramenait la réalité.

Ce père aimant passait son temps à trouver des excuses pour la frapper. Chaque verre renversé lui donnait droit à une gifle. Et voilà, il lui avait coupé l’appétit. Difficile de manger quand vous avez envie de pleurer. Et ça s’était le meilleur du pire.

Elle devait porter le prénom de son père mais au féminin comme une continuité de lui. Mais là encore virement de situation, au dernier moment il change d’avis. Et lui choisit un autre prénom, le même que celui d’une enfant qui venait de naitre un peu plus tôt dans la maternité. Comme une usurpation d’identité. Un faux départ. Je ne sais même pas si il y a eu concertation avec sa femme. Un hasard hasardeux.

De toute façon ni l’un ni l’autre ne semblait convenir à cette petite fille.